mercredi 11 septembre 2013

Brazil 11/14. Jamaracua






La poursuite de cette mémoire étrangère continue. 
L’homme ne peut plus s’en empêcher désormais. Il y pense nuit et jour, 
attendant avec impatience le moment où son esprit sera prêt à continuer la 
lecture – la vision plutôt – des pages de ce carnet noir, de ce morceau de passé, 
de ce bloc d’antimatière.

L’homme ouvre à nouveau le carnet, fiévreux à l’idée de découvrir un 
lieu nouveau, de laisser son esprit se taire face à ses yeux, 
de ne faire qu’un avec le vu.

Chose étonnante, ce n’est pas une image qui s’offre au regard de 
l’homme mais deux. Il ne le perçoit cependant pas tout de suite. La composition 
des deux images, pourtant sans rapport semble fonctionner d’une même pensée. 
Les deux lieux représentés cohabitent sur la page avec étrangeté, 
sans pour autant paraître déplacés.

De son œil gauche, l’homme est couché dans le sable, enfin ce qu’il pense 
être du sable car en réalité, il n’est posé que sur une étendue vide de papier 
jauni. Devant lui trônent des bouts de bois noircis et brûlés, résidus visuels d’un 
événement qui a eu lieu au passé et apparaît en tant qu’empreinte sur le présent. 
Le temps n’est jamais fixe. Les éléments se recoupent toujours incessamment, 
apparaissent en des lieux qui ne leur correspondent pas.
Au fond du décor se découpe, d’un trait noir, une habitation sur pilotis, vide 
de toute présence humaine. Les personnes qui habitaient sur le lieu de la scène 
semblent l’avoir fui pour une raison inconnue. 
L’homme n’en saisit pas la cause en tout cas.

Son œil gauche suit les ramures d’un morceau de bois brulé sur la droite 
de la page et glisse doucement. C’est alors qu’il laisse la vision à son œil droit, 
le bois s’étant transformé en l’ombre d’un arbre, masqué au regard sur la page 
suivante. Mais la transition se fait en un souffle, sans aucune consistance.

Un sol carrelé recouvre le bas du regard. Sur sa surface glissent doucement 
les ombres d’arbres poussant plus loin. Une construction en pierre happe le 
centre de l’image. Cela semble être un four antique ou archaïque, abandonné 
là par la croissance incessante de la modernité, reclus au triste 
statut de vestige d’une époque.

L’homme ne comprend pas où il se trouve. Les deux lieux paraissent aussi peu 
réels l’un que l’autre. Il ne parvient plus à canaliser ses pensées, se perdant entre 
les hémisphères gauches et droits de son cerveau. Il n’arrive plus à formuler d’idée précise.




Au sein de l’image se dressent alors d’autres arbres, empiétant sur les lieux précédents, 
les détruisant. Ils sont rouges, sanglants même. Leur présence est un mauvais présage. 
L’écorce de leurs troncs est striée de multiples rainures. Cela leur donne un aspect 
organique. Ils ressemblent à des muscles, dressés ici au milieu du vide pour appeler le 
regard en leur surface, pour ruiner les images qui existaient jusqu’à lors.

Mais l’homme parvient à les faire fuir, à tourner la page du carnet noir. 
Il s’arrête ainsi sur la représentation d’une machinerie humaine découpant l’horizon 
et entre dans l’image. Il apaise ainsi son regard en contemplant les différents aspects de cette grue gigantesque, érigée au bord de l’eau afin de rythmer la vie des hommes.

Il s’endort en comprenant que le retour à l’humanité est inexorable.



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