L’homme se
réveille. Sans attendre de rassembler ses esprits, il décide de
continuer la
recherche de cette mémoire étrangère. Ses doigts frôlent les
pages du carnet,
les tournent à nouveau, l’une après l’autre.
Une nouvelle
image apparaît, une chaise noire, flottant dans un grand vide.
Sur son dossier
est posé un vêtement blanc, représenté d’un trait mal assuré.
Le dessin autant
que le souvenir n’est pas sûr. L’homme contemple
l’association des deux objets,
monument éphémère, quelques instants,
avant d’être diverti par un bruit
derrière lui. Un groupe de gens discute en
bas de l’escalier. Ils s’adressent à
lui mais l’homme ne comprend pas. Tous les
sons sont brouillés, ont perdu leur
sens. Il s’agite, tente de se faire comprendre.
« Que dites-vous ?! »
crie l’homme. Les quatre personnes se taisent alors et
le regardent.
« Mais qu’est-ce que je fais là ? » pense l’homme avec
inquiétude,
« je suis perdu. » Il est étranger à l’environnement,
étranger à ce qui l’entoure,
aux humains qui peuplent ce monde nouveau.
Soudain, la
solution lui apparaît : « Ainsi, je suis un élément qui ne coïncide
pas avec ce contexte, ce n’est pas ce que je vois qui est étrange et différent
mais moi-même. Je dois donc cesser de me centrer sur moi et mon esprit mais
m’offrir entièrement à la découverte de ces images. Je ne dois plus être qu’une
enveloppe pour mes sens, je dois leur laisser tout le pouvoir de mon corps
durant ce périple au sein de la mémoire. »
Les couleurs
envahissent alors sa vision et la rendent plus claire. C’est le symbole.
Il
sait que tout ce qu’il va voir sera nouveau et différent mais cela ne
l’inquiète plus.
Son regard se lève légèrement et il observe la cour intérieure
dans laquelle il se trouve,
comme si c’était la première scène qu’il voyait à la
naissance, vierge de toute image.
Il décide alors
de marcher, vite et loin. Il lui faut trouver un lieu où il pourra
englober en
un seul regard le plus d’éléments possible. Ses pas le dirigent,
aléatoirement de ruelle en ruelle, croisant le regard de passants inconnus, happant
au
passage des mots vides de sens. Il se faufile tant bien que mal au sein de
cette
fourmilière grouillante et arrive enfin en face d’une petite montagne, en
bordure
de la ville. Il remarque qu’un téléphérique monte et descend continuellement
de la terre ferme au sommet du pic. « De là-haut, je pourrais percevoir ce
monde dans son entier. » Mais un élément le dérange. La montagne ne semble
pas exister de manière unique : son reflet flou et inversé paraît
cohabiter
perpétuellement à ses cotés. L’image du monument naturel qui s’offre
aux yeux
de l’homme existe au présent mais paraît être déjà un souvenir avant
même
d’avoir achevé son existence.
Cela trouble l’homme
Il décide malgré
tout d’emprunter le téléphérique et de gravir ce mont
étrange. Au bout de
quelques minutes qui lui semblent avoir duré des heures,
il arrive au sommet de
la montagne. Il avance un peu et, entre deux buissons,
lui apparaît la scène.
L’observatoire où il se trouve lui offre une vision panoramique
de cette ville.
L’homme peut, comme il le désirait, embrasser ce monde d’un seul
regard. Mais
malgré cela, l’image qui lui est transmise est dénuée de réalité, elle
flotte à
la surface de ses yeux comme une fumée indécise et ne parvient à
lui
transmettre aucune information précise.
L’acte de voir ne
peut être objectif car il confronte une image à un corps
particulier, à un être
pensant. Vouloir observer une réalité entière en une seule
vision n’est pas
possible. L’équilibre serait rompu, l’homme le sait à présent.
Il faut vivre
pour voir, marcher, avancer d’image en image, observer chaque
détail l’un après
l’autre pour dessiner une vision claire de ce que peut être le monde.
C’est un parcours
fastidieux mais il ne peut en être fait autrement.
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