jeudi 12 septembre 2013

Brazil 12/14. São Paulo




A nouveau, l’homme s’engouffre dans le passage visuel et mémoriel que lui expose 
le carnet noir. Comme il l’avait ressenti lors de sa dernière visite, la civilisation et 
l’humanité réapparaissent entre ces pages nouvelles.

Il est assis dans un bus, auprès d’autres personnes qu’il ne connait pas. 
Tous sont immobiles et profondément endormis, le corps doucement bercé par 
les tremblements chaotiques du véhicule en marche. Seul flotte dans l’air le grondement 
sourd du moteur. La scène trouble étrangement l’homme et, sans qu’il ne puisse 
résister, ses paupières se font pierres. Elles deviennent si lourdes qu’il semble à 
l’homme que, plus jamais, il ne pourra les rouvrir un jour. Le sommeil s’insinue 
alors, comme une brume, entre les couloirs de sa conscience.


Il est assis à nouveau, à une table cette fois. Il baisse légèrement les yeux. 
Devant lui sont posés une tasse à moitié pleine de café et un jus de fruit. Il remarque 
une galette blanche, enroulée et posée sur une assiette. Le champ s’élargit. Les 
éléments du décor se définissent. La table devant l’homme se situe au milieu 
d’autres tables, placées à coté d’une cuisine et d’un comptoir dans lesquels 
s’activent avec énergie des inconnus. Tous se crient des mots que l’homme 
ne parvient à comprendre, comme évoluant derrière une mousse épaisse.
Au milieu des sons, un écho féminin happe son attention mais il s’étouffe vite, 
englouti par le brouhaha bourdonnant de l’endroit.





Soudain, la nuit tombe.

Elle apparait dans l’image sans préambule, comme une bête, sombre 
et sauvage, et dévore le décor apparent. Tout se transforme. Les éléments que 
l’homme avait sous les yeux se métamorphosent en d’autres. La transition 
parait irréelle et immédiate, comme si le motif observé avait toujours été celui-ci. 
Et pourtant, au trait strict et noir du bar s’est substitué un graphisme éclaté, aux 
tons cendrés et chaotiques. Les multiples chaises ont disparu, englouties par le 
gouffre de la nuit. Seule existe le cadre noir de l’obscurité et une table, grise, 
sur laquelle reposent, immobiles, plusieurs objets.

Trois bouteilles, un porte-serviette, un verre, un papier chiffonné et une 
trousse à l’ouverture vaginale, laissant dévoiler un intérieur bouffi et bondé.

« Des vies étaient présentes en cette place il y a peu », pense l’homme. 
Tout le porte à croire. Pourtant, un silence épais et lourd règne au-dessus des 
lieux, plus obscur encore que les ténèbres environnantes.

Mais quelque chose dans cette scène sans existence fait vibrer l’âme de 
l’homme, sans qu’il ne sache pourquoi. Cela lui laisse un goût mélancolique 
et triste au fond de la gorge, comme un profond sentiment de nostalgie. Il veut 
en comprendre la cause. Il prend le papier en main et l’ouvre, le défroisse 
pour en étudier le contenu et, peut-être apprendre quelque chose. Mais rien. 
Seuls apparaissent le blanc jaunâtre du papier et le dessin produit par le 
froissement de la feuille. 
L’homme est perdu.




Il se lève alors d’un mouvement brusque et la page se tourne, le décor change 
à nouveau. Mais, sans avoir le temps de canaliser son regard, la scène se 
métamorphose et redéfinit sa structure encore et encore. Le visible perd sa consistance 
et devient une mélasse incolore et informe.
Le carnet noir n’en fait qu’à sa tête aujourd’hui. Il dirige le monde du visible 
sans logique apparente et perd l’homme dans son esprit, incapable de saisir 
le sens de ce cheminement incessant.

Puis, d’un seul coup, le tremblement des sens s’arrête, le paysage se fige et il la voit.


Elle.





3 commentaires:

  1. j'aime beaucoup comment tu vas piocher de manière subtile chez Tarmasz, Zéphir, séb...chacun de ces styles étant toujours super maîtrisés.

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    1. Ouais, j'adore passer mon temps à aller fouiner plein plein plein de blogs et de sites de dessinateurs pour m'abreuver les mirettes d'images super chouettes. Et forcément, les trucs ultra réjouissants se retranscrivent dans mes dessins à moi.
      Mais c'est assez cool parce que le filtre de mon cerveau modifie les trucs que je vois pour en faire autre chose, un peu à ma sauce et dont je suis assez content parfois.

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