L’homme est de retour. Il
s’est perdu de nombreux jours dans ce village étrange.
Il a vécu son existence
pleinement ; comme il ne l’avait jamais fait jusqu’à présent.
Mais il a
vite compris qu’il ne pouvait y rester indéfiniment. Ce n’était pas sa place.
Y
résider plus longtemps l’aurait transformé trop radicalement, aurait remplacé
son esprit par un autre. Ce n’est pas ce que l’homme désirait, bien qu’il ne
regrette pas son expérience dans le lieu même de la vie.
Il en sort changé
cependant, il ne sera plus jamais le même, il le sait, car les
images qu’il a
vues et surtout celles qu’il a créées, avec ces villageois euphoriques,
habiteront toujours son esprit, feront toujours partie de son être.
Mais il est temps pour
l’homme d’accéder à de nouveaux lieux de représentation.
Le carnet est ouvert à
une autre page et laisse place à une nouvelle image.
L’homme est couché, son
corps oscille à un rythme doux et lent. Il se rend
compte qu’il se trouve dans
un hamac. A ses cotés, l’un des guides est présent
et semble absolument
concentré sur un élément devant lui que l’homme ne
peut percevoir, caché par un
bout de toile sombre. Il regarde à droite à gauche.
Des deux cotés, les visions
sont similaires. Des dizaines d’autres hamacs,
accrochés les uns au-dessus des
autres, sur lesquels reposent les
autres guides et des personnes inconnues.
Il se lève et marche un
peu. Il tangue, sans savoir pourquoi. Cela lui laisse
une impression étrange,
comme s’il n’était pas pleinement maître de son corps et
ses sens. Mais ce
n’est en fait pas sur lui que le mouvement s’impose. C’est le sol
sur lequel il
marche qui tangue doucement mais régulièrement. Il se trouve en fait
sur le
ponton d’un bateau naviguant sur la mer.
Non … l’homme plisse les
yeux. Un rivage apparaît au loin, presque transparent.
Ce n’est pas sur la mer
que flotte le bateau mais sur un fleuve si vaste
que l’une des rives est
imperceptible.
L’homme reste ainsi
immobile sur le ponton et contemple l’eau quelques temps.
Les deux rives se
resserrent petit à petit, traçant un chemin plus défini. Le regard
croise,
ci-et-là des maisons sur pilotis, dressées au bord du rivage, dont les
habitants observent avec lassitude le bateau passer, autant que les passagers
les
observent, eux. Un échange silencieux de pensées et de morceaux de vie.
Une image surgit dans
l’esprit de l’homme, il ne sait pas d’où elle vient.
Tout disparaît et devient
noir autour de cette figure. Serait-ce le carnet
qui ne contrôle plus le flux
des pages ? Cela l’inquiète.
Devant lui se dresse un
mur de briques, entreposées les unes sur les autres
en un ordre arbitraire et
pratique. Mais l’homme n’en perçoit pas le sens
fonctionnel, il est face à une
sculpture étrange, qui obnubile son regard et ses
pensées. Sans bouger, il en
étudie la forme mais ne parvient pas en saisir l’essence.
Devant le mur, un tissu
coloré flotte étrangement. Il n’est tenu par aucun fil apparent.
Sa présence
semble impossible, inadéquate. L’homme la voit pourtant. Sa couleur
orange,
vive comme le feu, lui donne un aspect maudit, comme si elle représentait
le
fantôme d’une âme échouée, errant au-dessus de cette sculpture silencieuse.
L’angoisse l’assaille.
Mais il retrouve vite ses
esprits et ferme le carnet noir.
Il ne pourrait supporter la vision de
nouvelles images aujourd’hui.
C'est sombre et coloré à la fois.
RépondreSupprimerTon style est excellent. On peut voyager avec toi.
Magnifique, du très haut niveau!
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