L’homme reprend
ses esprits. Le carnet noir l’emmène à nouveau en
son sein. Il vagabonde un peu
entre les figures et retrouve rapidement
sa destination : la cour
intérieure dans laquelle il s’était trouvé auparavant.
Il décide de
retrouver les quatre personnes qui avaient tenté plus tôt
de lui transmettre un
message.
Elles sont
toujours là, au même endroit et lui parlent à nouveau.
Sans en
comprendre les mots, l’homme perçoit cette fois le sens de
leurs paroles, sans
savoir pourquoi. Les quatre individus lui
demandent de les suivre.
Il n’hésite pas,
ne se pose pas de question inutile et leur emboite
le pas, avide de découvrir
le but de leur destination.
Ils marchent
plusieurs heures dans la ville, prennent des bus par centaines,
s’engouffrent
dans les boyaux du métro, se déplacent de station en station,
se perdent dans
les réseaux de cette cité tentaculaire. L’homme n’arrive
plus à comprendre si
son corps le porte réellement au sein des rues ou
si seuls ses yeux voyagent
entre les pages du carnet noir. Il ne parvient
plus à faire la différence entre
réalité et représentation.
Ce n’est pas important.
C’est alors que
les quatre personnes s’arrêtent. L’homme manque de leur
rentrer dedans, perdu
dans ses pensées. Il se ressaisit et regarde autour de lui.
L’endroit
grouille de monde. Des milliers d’humains au sourire idiot
posent avec bêtise
devant l’objectif d’appareils photo. Ils prennent tous
la même pose, les bras
en croix, le corps statique. « Est-ce une coutume locale ? »
se
demande l’homme. C’est alors qu’il l’aperçoit.
Comment avait-elle pu lui échapper jusqu’à présent ? Monumentale,
la
statue géante d’un Christ est érigée en face de lui et surplombe avec
dédain la
foule fiévreuse tentant de happer son regard de pierre. Les flashes
clignotants
et insupportables des appareils électroniques, tenus par ces êtres si
insipides, ne l’interpellent à aucun moment. Il reste figé dans sa pose sacrée,
contemplant avec passion le ciel qui s’offre à son regard.
L’Homme ne peut
plus supporter ce spectacle. L’humanité est ici présente
sous sa forme la plus
rebutante. Il rebrousse chemin et retrouve les quatre guides.
« Pourquoi
m’avez-vous fait voir ça ? » leur demande-il. Il ne saisit pas le
sens
de leur réponse mais il lui semble comprendre que c’était un acte
nécessaire.
Le groupe emboite le pas à nouveau, l’homme les suit. Le retour à
la ville est
douloureux, l’homme ne cesse de penser à cette statue, inondée de
toutes
ces fourmis insupportables.
L’un des quatre
guides remarque sa détresse. Le groupe s’arrête et entre dans
le bar le plus
proche. Sans préambule, ils font gouter à l’homme une boisson
inconnue, au goût
fort et enivrant. L’homme boit, gorgée après gorgée, sans
reprendre son
souffle. Du liquide coule sur son visage, il ne s’en préoccupe pas.
Ses pensées
se mêlent alors entre elles, son esprit s’embrume et s’enivre.
Il crie, hurle,
rit et pleure. Il regarde autour de lui, les images se dédoublent,
représentations de représentations. Il se perd. Tout lui paraît incohérent et
burlesque.
Il ne parvient pas à se rattacher à une image fixe et rassurante. Il
décide de sortir,
trébuche contre une table et tombe sur le trottoir. Il relève
la tête et son regard
se pose sur la silhouette d’un habitant de la ville,
assis sur une chaise, contre un
panneau de signalisation. Tout se jaunit, se
flétrit. L’homme ne tient plus le choc.
Son esprit sombre alors à nouveau dans le sommeil. Il
se vide de toutes les
images qu’il a vues et emmagasinées durant la journée. Il dort profondément.
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