lundi 30 septembre 2013

samedi 14 septembre 2013

Brazil 14/14. Au terme du voyage.





Aujourd’hui, le voyage arrive à son terme.

L’homme a parcouru toute la mémoire de ce monde, il a marché jour après jour 
entre les pages de cet énigmatique carnet noir. Il a vu et vécu au sein de ces lieux 
des choses qui l’auront transformé à jamais.

Il ne lui est pas possible de saisir la pleine signification de ce à quoi il a assisté 
ces dernières semaines. Certaines images ont donné lieu en lui à des moments de 
joie ou de sérénité qu’il n’avait jamais connu jusqu’à lors. D’autres l’ont profondément 
troublé et angoissé. Pourtant, il le sait, ce voyage fait désormais partie intégrante de lui. 
Plus rien ne pourra être comme avant désormais et, d’ailleurs, il ne le souhaiterait pas.

Mais, à présent, il tient le bloc noir entre ses mains, ouvert à la dernière page, 
il en est conscient. Le périple s’achève avec cette dernière image.

Dans un cadre noir apparait un paysage à l’atmosphère paisible.
Au milieu d’un pré de montagne, parsemé d’arbres ci et là, se dresse une petite 
maisonnée, camouflée dans ce décor naturel. Il règne un sentiment de profonde 
paix en ce lieu, l’homme le ressent.

Il lui reste un choix à faire désormais. Un choix qui va se répercuter dans son 
existence comme un raz-de-marée, modifiant le cours des choses inéluctablement. 
Mais cela n’inquiète pas l’homme. Il sait que cette étape lui est nécessaire 
pour continuer à avancer.

Il n’hésite pas. Il connaît la réponse depuis longtemps, la voie qu’il doit emprunter.

Empoignant le carnet à deux mains, il plonge la tête et saute au centre de l’image. 
Toutes ses pensées le quittent tour à tour, s’envolent hors de son corps, hors de 
son esprit, le laissant pur face à cet ultime saut dans le vide. Car à présent commence 
sa nouvelle vie au sein des images. Et il sait que ces images sont le fruit des songes 
de la jeune endormie, qu’il va pouvoir vivre perpétuellement dans ses rêves et 
vagabonder dans sa conscience. 
Une gorgée d’euphorie fait vibrer le ventre de l’homme.
Sa mémoire s’efface alors complètement. Un vent fort souffle sur ses plus anciens 
souvenirs. Ils s’échappent comme s’ils n’avaient jamais existé.

Ça y’est. Il est prêt à accueillir, l’esprit grand ouvert, sa nouvelle existence.



Le carnet tombe alors au sol et se referme, 
redevenant un bloc de matière noire inerte.


Tout disparait.



vendredi 13 septembre 2013

Brazil 13/14. Foz do Iguaçu





La jeune femme est figée dans son sommeil.
Statue antique, irréelle et sublime.

Un drap recouvre et entoure son corps, créant de multiples pliures, comme autant d
fissures noires sur le blanc du décor. La tête posée sur un oreiller, ses bras reposent 
élégamment hors du linceul. La scène est délicate, superbe.

Le visage de la jeune femme est caché par un masque étrange, amalgame d’ailes 
de papillon et de plumes d’oiseaux inconnus. L’ensemble happe le regard et le perturbe. 
Ce voile hétéroclite crée une percée dans la vision par son écorce aux couleurs vives, à l’inverse 
des contrastes francs de noir et de blanc qui caractérisent le reste de la scène.

La jeune femme rêve.

De nouvelles images se créent. Les pages se tournent, semblent hésiter, flottent 
avec insouciance au rythme de la conscience de la gracieuse endormie. Puis, 
l’engrenage s’arrête. Un choix semble avoir été accompli.




La scène se dévoile lentement, avec hésitation, puis se révèle et se dessine au 
regard et à la compréhension. Le songe se déroule à présent dans ce qui semble 
être une forêt, traversée par un courant d’eau, blanc et vide qui coupe la végétation 
et la page en deux. Des murmures d’oiseaux se font entendre parmi les branches. 
Le lieu est calme et apaisant.

Mais la conscience de la jeune femme ne s’arrête pas là et change déjà de sujet 
de représentation. Pourtant, elle n’avait pas encore achevé la définition de l’ancien 
lieu, seulement esquissé avant de disparaître.

Une plante aux nuances complexes de gris apparaît alors. Elle s’ébauche et se 
précise petit à petit, du haut de l’image jusqu’en bas. Ses feuilles bruissent au rythme 
d’un vent qui ne semble exister qu’en ce morceau de visibilité, tant ce qui entoure
 la plante est vide et indéfini. Elle semble révéler ou contenir quelque chose. Il est 
difficile de savoir quoi. Image inconsciente de la réalité de l’endormie, elle existe 
devant le regard en tant que microcosme de l’âme. Le monde entier se résume 
entre les nervures des feuilles, ces fleuves coulant aux origines de l’univers.




A nouveau, l’image entame sa métamorphose avant d’avoir été pleinement définie. 
C’est un rite étrange. Les lieux semblent se créer au fur et à mesure qu’évoluent 
les pensées de la jeune femme. Ils naissent du néant, jardins vierges et magnifiques 
et se transforment au gré des aléas de l’inconscient.

Une idée se crée alors. Peut-être est-ce cette jeune femme, la conscience de 
l’étrange carnet noir ? Peut-être que le voyage au sein des pages qu’accomplit l’homme 
depuis tant de jours est créé, nuit après nuit au sein même des songes de l’endormie ? 
Elle est l’arbitre sublime qui règne sur ce monde.

Le carnet noir se referme.



jeudi 12 septembre 2013

Brazil 12/14. São Paulo




A nouveau, l’homme s’engouffre dans le passage visuel et mémoriel que lui expose 
le carnet noir. Comme il l’avait ressenti lors de sa dernière visite, la civilisation et 
l’humanité réapparaissent entre ces pages nouvelles.

Il est assis dans un bus, auprès d’autres personnes qu’il ne connait pas. 
Tous sont immobiles et profondément endormis, le corps doucement bercé par 
les tremblements chaotiques du véhicule en marche. Seul flotte dans l’air le grondement 
sourd du moteur. La scène trouble étrangement l’homme et, sans qu’il ne puisse 
résister, ses paupières se font pierres. Elles deviennent si lourdes qu’il semble à 
l’homme que, plus jamais, il ne pourra les rouvrir un jour. Le sommeil s’insinue 
alors, comme une brume, entre les couloirs de sa conscience.


Il est assis à nouveau, à une table cette fois. Il baisse légèrement les yeux. 
Devant lui sont posés une tasse à moitié pleine de café et un jus de fruit. Il remarque 
une galette blanche, enroulée et posée sur une assiette. Le champ s’élargit. Les 
éléments du décor se définissent. La table devant l’homme se situe au milieu 
d’autres tables, placées à coté d’une cuisine et d’un comptoir dans lesquels 
s’activent avec énergie des inconnus. Tous se crient des mots que l’homme 
ne parvient à comprendre, comme évoluant derrière une mousse épaisse.
Au milieu des sons, un écho féminin happe son attention mais il s’étouffe vite, 
englouti par le brouhaha bourdonnant de l’endroit.





Soudain, la nuit tombe.

Elle apparait dans l’image sans préambule, comme une bête, sombre 
et sauvage, et dévore le décor apparent. Tout se transforme. Les éléments que 
l’homme avait sous les yeux se métamorphosent en d’autres. La transition 
parait irréelle et immédiate, comme si le motif observé avait toujours été celui-ci. 
Et pourtant, au trait strict et noir du bar s’est substitué un graphisme éclaté, aux 
tons cendrés et chaotiques. Les multiples chaises ont disparu, englouties par le 
gouffre de la nuit. Seule existe le cadre noir de l’obscurité et une table, grise, 
sur laquelle reposent, immobiles, plusieurs objets.

Trois bouteilles, un porte-serviette, un verre, un papier chiffonné et une 
trousse à l’ouverture vaginale, laissant dévoiler un intérieur bouffi et bondé.

« Des vies étaient présentes en cette place il y a peu », pense l’homme. 
Tout le porte à croire. Pourtant, un silence épais et lourd règne au-dessus des 
lieux, plus obscur encore que les ténèbres environnantes.

Mais quelque chose dans cette scène sans existence fait vibrer l’âme de 
l’homme, sans qu’il ne sache pourquoi. Cela lui laisse un goût mélancolique 
et triste au fond de la gorge, comme un profond sentiment de nostalgie. Il veut 
en comprendre la cause. Il prend le papier en main et l’ouvre, le défroisse 
pour en étudier le contenu et, peut-être apprendre quelque chose. Mais rien. 
Seuls apparaissent le blanc jaunâtre du papier et le dessin produit par le 
froissement de la feuille. 
L’homme est perdu.




Il se lève alors d’un mouvement brusque et la page se tourne, le décor change 
à nouveau. Mais, sans avoir le temps de canaliser son regard, la scène se 
métamorphose et redéfinit sa structure encore et encore. Le visible perd sa consistance 
et devient une mélasse incolore et informe.
Le carnet noir n’en fait qu’à sa tête aujourd’hui. Il dirige le monde du visible 
sans logique apparente et perd l’homme dans son esprit, incapable de saisir 
le sens de ce cheminement incessant.

Puis, d’un seul coup, le tremblement des sens s’arrête, le paysage se fige et il la voit.


Elle.





mercredi 11 septembre 2013

Brazil 11/14. Jamaracua






La poursuite de cette mémoire étrangère continue. 
L’homme ne peut plus s’en empêcher désormais. Il y pense nuit et jour, 
attendant avec impatience le moment où son esprit sera prêt à continuer la 
lecture – la vision plutôt – des pages de ce carnet noir, de ce morceau de passé, 
de ce bloc d’antimatière.

L’homme ouvre à nouveau le carnet, fiévreux à l’idée de découvrir un 
lieu nouveau, de laisser son esprit se taire face à ses yeux, 
de ne faire qu’un avec le vu.

Chose étonnante, ce n’est pas une image qui s’offre au regard de 
l’homme mais deux. Il ne le perçoit cependant pas tout de suite. La composition 
des deux images, pourtant sans rapport semble fonctionner d’une même pensée. 
Les deux lieux représentés cohabitent sur la page avec étrangeté, 
sans pour autant paraître déplacés.

De son œil gauche, l’homme est couché dans le sable, enfin ce qu’il pense 
être du sable car en réalité, il n’est posé que sur une étendue vide de papier 
jauni. Devant lui trônent des bouts de bois noircis et brûlés, résidus visuels d’un 
événement qui a eu lieu au passé et apparaît en tant qu’empreinte sur le présent. 
Le temps n’est jamais fixe. Les éléments se recoupent toujours incessamment, 
apparaissent en des lieux qui ne leur correspondent pas.
Au fond du décor se découpe, d’un trait noir, une habitation sur pilotis, vide 
de toute présence humaine. Les personnes qui habitaient sur le lieu de la scène 
semblent l’avoir fui pour une raison inconnue. 
L’homme n’en saisit pas la cause en tout cas.

Son œil gauche suit les ramures d’un morceau de bois brulé sur la droite 
de la page et glisse doucement. C’est alors qu’il laisse la vision à son œil droit, 
le bois s’étant transformé en l’ombre d’un arbre, masqué au regard sur la page 
suivante. Mais la transition se fait en un souffle, sans aucune consistance.

Un sol carrelé recouvre le bas du regard. Sur sa surface glissent doucement 
les ombres d’arbres poussant plus loin. Une construction en pierre happe le 
centre de l’image. Cela semble être un four antique ou archaïque, abandonné 
là par la croissance incessante de la modernité, reclus au triste 
statut de vestige d’une époque.

L’homme ne comprend pas où il se trouve. Les deux lieux paraissent aussi peu 
réels l’un que l’autre. Il ne parvient plus à canaliser ses pensées, se perdant entre 
les hémisphères gauches et droits de son cerveau. Il n’arrive plus à formuler d’idée précise.




Au sein de l’image se dressent alors d’autres arbres, empiétant sur les lieux précédents, 
les détruisant. Ils sont rouges, sanglants même. Leur présence est un mauvais présage. 
L’écorce de leurs troncs est striée de multiples rainures. Cela leur donne un aspect 
organique. Ils ressemblent à des muscles, dressés ici au milieu du vide pour appeler le 
regard en leur surface, pour ruiner les images qui existaient jusqu’à lors.

Mais l’homme parvient à les faire fuir, à tourner la page du carnet noir. 
Il s’arrête ainsi sur la représentation d’une machinerie humaine découpant l’horizon 
et entre dans l’image. Il apaise ainsi son regard en contemplant les différents aspects de cette grue gigantesque, érigée au bord de l’eau afin de rythmer la vie des hommes.

Il s’endort en comprenant que le retour à l’humanité est inexorable.



mardi 10 septembre 2013

Brazil 10/14. Naviguant sur l'Amazonie






L’homme est de retour. Il s’est perdu de nombreux jours dans ce village étrange. 
Il a vécu son existence pleinement ; comme il ne l’avait jamais fait jusqu’à présent. 
Mais il a vite compris qu’il ne pouvait y rester indéfiniment. Ce n’était pas sa place. 
Y résider plus longtemps l’aurait transformé trop radicalement, aurait remplacé 
son esprit par un autre. Ce n’est pas ce que l’homme désirait, bien qu’il ne 
regrette pas son expérience dans le lieu même de la vie.

Il en sort changé cependant, il ne sera plus jamais le même, il le sait, car les 
images qu’il a vues et surtout celles qu’il a créées, avec ces villageois euphoriques, 
habiteront toujours son esprit, feront toujours partie de son être.

Mais il est temps pour l’homme d’accéder à de nouveaux lieux de représentation. 
Le carnet est ouvert à une autre page et laisse place à une nouvelle image.

L’homme est couché, son corps oscille à un rythme doux et lent. Il se rend 
compte qu’il se trouve dans un hamac. A ses cotés, l’un des guides est présent 
et semble absolument concentré sur un élément devant lui que l’homme ne 
peut percevoir, caché par un bout de toile sombre. Il regarde à droite à gauche. 
Des deux cotés, les visions sont similaires. Des dizaines d’autres hamacs, 
accrochés les uns au-dessus des autres, sur lesquels reposent les 
autres guides et des personnes inconnues.

Il se lève et marche un peu. Il tangue, sans savoir pourquoi. Cela lui laisse 
une impression étrange, comme s’il n’était pas pleinement maître de son corps et 
ses sens. Mais ce n’est en fait pas sur lui que le mouvement s’impose. C’est le sol 
sur lequel il marche qui tangue doucement mais régulièrement. Il se trouve en fait 
sur le ponton d’un bateau naviguant sur la mer.



Non … l’homme plisse les yeux. Un rivage apparaît au loin, presque transparent. 
Ce n’est pas sur la mer que flotte le bateau mais sur un fleuve si vaste 
que l’une des rives est imperceptible.

L’homme reste ainsi immobile sur le ponton et contemple l’eau quelques temps. 
Les deux rives se resserrent petit à petit, traçant un chemin plus défini. Le regard 
croise, ci-et-là des maisons sur pilotis, dressées au bord du rivage, dont les 
habitants observent avec lassitude le bateau passer, autant que les passagers les 
observent, eux. Un échange silencieux de pensées et de morceaux de vie.

Une image surgit dans l’esprit de l’homme, il ne sait pas d’où elle vient. 
Tout disparaît et devient noir autour de cette figure. Serait-ce le carnet 
qui ne contrôle plus le flux des pages ? Cela l’inquiète.
Devant lui se dresse un mur de briques, entreposées les unes sur les autres 
en un ordre arbitraire et pratique. Mais l’homme n’en perçoit pas le sens 
fonctionnel, il est face à une sculpture étrange, qui obnubile son regard et ses 
pensées. Sans bouger, il en étudie la forme mais ne parvient pas en saisir l’essence.

Devant le mur, un tissu coloré flotte étrangement. Il n’est tenu par aucun fil apparent. 
Sa présence semble impossible, inadéquate. L’homme la voit pourtant. Sa couleur 
orange, vive comme le feu, lui donne un aspect maudit, comme si elle représentait 
le fantôme d’une âme échouée, errant au-dessus de cette sculpture silencieuse. 
L’angoisse l’assaille.


Mais il retrouve vite ses esprits et ferme le carnet noir. 
Il ne pourrait supporter la vision de nouvelles images aujourd’hui.






lundi 9 septembre 2013

Brazil 9/14. Praia do Pesqueiro








Aujourd’hui, le carnet noir s’est ouvert de lui-même en son centre.

L’homme s’y est trouvé happé sans qu’il s’y attende, projeté malgré 
lui dans un nouveau lieu où passé et présent, mémoire et existence, 
se rejoignent à nouveau.
Quelques minutes passent. L’homme met du temps à se relever. 
Il parvient cependant à le faire et observe les alentours. Il est debout, 
au centre d’une place étonnante. Autour de lui se dressent des 
maisons aux motifs et couleurs incroyables, rompant avec la 
monotonie jaunâtre du papier-paysage.

Au départ, aucun son ne résonne entre les rues laissées vides par le 
dessin et subitement, un fracas se fait entendre, sec et puissant, dans 
les oreilles de l’homme. Quelques instants passent, silencieux 
à nouveau. L’homme s’inquiète.

Soudain, les rues s’animent d’un brouhaha joyeux et incessant. 
Les artères du village se remplissent de gens au visage rayonnant, 
criant, riant et dansant, la mine euphorique autour de l’homme. 
Ils l’incitent à les rejoindre. L’homme hésite, il ne trouve plus ses 
guides et est récalcitrant à l’idée de suivre des inconnus à nouveau. 
Il se rappelle alors, que ses guides n’étaient au départ que des étrangers 
parmi tant d’autres avant de devenir ses amis.
Soit. Il est temps de vivre ce voyage pleinement, plutôt que d’y 
assister en tant que simple spectateur passif.

C’est alors, qu’il s’abandonne au rythme de la vie endiablée de ce 
village si extatique. Il ne sait pas s’il pourra revenir identique de 
ce voyage au sein d’une humanité nouvelle, mais la question ne 
l’importe pas encore. Pour l’instant, il doit vivre. 
Vivre et cesser de voir.




dimanche 8 septembre 2013

Brazil 8/14. Ilha de Marajó









Du sable s’étend à perte de vue.

Il vagabonde si loin dans le paysage que l’horizon n’existe plus, 
la séparation entre ciel et terre n’a plus lieu d’être, le jaune du sable 
se mêle au blanc du papier, créant un paysage au sein même du vide.

Un seul élément vient rompre avec ce monochrome naturel. C’est une 
barrière de graphite, représentant des morceaux de bois, érigés les uns 
à coté des autres autour d’une porte archaïque. L’homme comprend qu’il 
est dans le désert. Ce carnet regorge décidément de mille et unes merveilles. 
Il pense durant quelques instants à ce qu’il a pu voir jusqu’à présent et 
imagine avec joie ce qu’il va voir par la suite. Mais pour voir, il faut se 
déplacer. C’est ce que décide de faire l’homme.






Le décor se trouble ainsi, laissant place à une autre étendue de sable, 
dans un lieu différent. La barrière boisée n’est plus là, remplacée par 
une barque aux couleurs flamboyantes et irréelles.
L’homme se souvient à présent. Ce sont les guides qui l’ont mené ici. 
Il a traversé avec eux un désert de sable, marchant durant un temps 
indéterminé dans ces plaines minérales pour s’établir sur cette plage, 
aux confins d’un village étranger. Mais le village, ils ne l’approchent pas, 
préférant converser avec les éléments naturels qui parsèment les lieux. 
C’est sans doute une bonne décision, il n’en sait rien à vrai dire. 
Cela ne le préoccupe pas.







A coté de la barque échouée – elle attend que la marée remonte et lui 
permette de flotter à nouveau – se trouve leur campement, à l’homme 
et aux guides. Ils l’ont construit d’une décision commune, utilisant les 
divers éléments qu’ils pouvaient recueillir aux alentours : bouts de bois, 
feuilles de palmiers, mousse et sable. C’est un lieu agréable. Il est retiré 
des bruissements incessants de la civilisation humaine. Les seules traces 
sont cette barque et un bateau laissé à l’abandon, un peu plus loin 
au milieu de la mangrove.

Cette attente sans but laisse du temps à l’homme pour penser à son 
voyage, à la création de cette mémoire représentée dans le carnet noir. 
Il se demande si, au fond, ce ne sont pas ses propres visions, oubliées 
et perdues au fin fond de son esprit, qui y sont dessinées page après page. 
Mais aucune réponse ne parvient à ses oreilles. Tout est trop calme.






Est-ce que c’est cela voyager ? Vagabonder d’un lieu à un autre en 
ne restant que spectateur, que découvreur passif d’une nouvelle réalité. 
Depuis quelques jours, il ne saisit plus très bien son rôle dans ce périple. 
Dans quel but emmagasiner toutes ces images ? Ne faut-il pas les vivre 
plus tôt ? « Je ne parviens à rien, mais cela ne m’attriste pas, c’est étrange » 
se dit l’homme, il n’avait jamais connu cela auparavant.

« Peut-être devrais-je malgré tout laisser une trace de mon existence 
au sein de ces images, autant qu’elles laissent une trace de la 
leur dans mon esprit. » conclut l’homme.

Puis il se concentre sur l’observation d’un arbre en face de lui, laissant 
son regard se perdre entre les tumultueuse racines apparentes qui se 
rejoignent pour se dresser vers le ciel. 
« Il laisse sa trace dans le monde, lui », se dit l’homme.