Bruit du jour: The White Stripes / Icky Thump
lundi 30 septembre 2013
samedi 14 septembre 2013
Brazil 14/14. Au terme du voyage.
Aujourd’hui, le voyage
arrive à son terme.
L’homme a parcouru toute
la mémoire de ce monde, il a marché jour après jour
entre les pages de cet
énigmatique carnet noir. Il a vu et vécu au sein de ces lieux
des choses qui l’auront
transformé à jamais.
Il ne lui est pas
possible de saisir la pleine signification de ce à quoi il a assisté
ces
dernières semaines. Certaines images ont donné lieu en lui à des moments de
joie ou de sérénité qu’il n’avait jamais connu jusqu’à lors. D’autres l’ont
profondément
troublé et angoissé. Pourtant, il le sait, ce voyage fait désormais
partie intégrante de lui.
Plus rien ne pourra être comme avant désormais et, d’ailleurs,
il ne le souhaiterait pas.
Mais, à présent, il tient
le bloc noir entre ses mains, ouvert à la dernière page,
il en est conscient. Le
périple s’achève avec cette dernière image.
Dans un cadre noir
apparait un paysage à l’atmosphère paisible.
Au milieu d’un pré de
montagne, parsemé d’arbres ci et là, se dresse une petite
maisonnée, camouflée
dans ce décor naturel. Il règne un sentiment de profonde
paix en ce lieu, l’homme
le ressent.
Il lui reste un choix à
faire désormais. Un choix qui va se répercuter dans son
existence comme un raz-de-marée,
modifiant le cours des choses inéluctablement.
Mais cela n’inquiète pas l’homme.
Il sait que cette étape lui est nécessaire
pour continuer à avancer.
Il n’hésite pas. Il
connaît la réponse depuis longtemps, la voie qu’il doit emprunter.
Empoignant le carnet à deux
mains, il plonge la tête et saute au centre de l’image.
Toutes ses pensées le
quittent tour à tour, s’envolent hors de son corps, hors de
son esprit, le
laissant pur face à cet ultime saut dans le vide. Car à présent commence
sa
nouvelle vie au sein des images. Et il sait que ces images sont le fruit des
songes
de la jeune endormie, qu’il va pouvoir vivre perpétuellement dans ses
rêves et
vagabonder dans sa conscience.
Une gorgée d’euphorie fait vibrer le ventre de l’homme.
Une gorgée d’euphorie fait vibrer le ventre de l’homme.
Sa mémoire s’efface alors
complètement. Un vent fort souffle sur ses plus anciens
souvenirs. Ils s’échappent
comme s’ils n’avaient jamais existé.
Ça y’est. Il est prêt à
accueillir, l’esprit grand ouvert, sa nouvelle existence.
Le carnet tombe alors au
sol et se referme,
redevenant un bloc de matière noire inerte.
Tout disparait.
vendredi 13 septembre 2013
Brazil 13/14. Foz do Iguaçu
La jeune femme est figée
dans son sommeil.
Statue antique, irréelle
et sublime.
Un drap recouvre et
entoure son corps, créant de multiples pliures, comme autant de
fissures noires sur le blanc du décor. La tête posée sur un oreiller, ses bras reposent
élégamment hors du linceul. La scène est délicate, superbe.
fissures noires sur le blanc du décor. La tête posée sur un oreiller, ses bras reposent
élégamment hors du linceul. La scène est délicate, superbe.
Le visage de la jeune
femme est caché par un masque étrange, amalgame d’ailes
de papillon et de plumes d’oiseaux inconnus. L’ensemble happe le regard et le perturbe.
Ce voile hétéroclite crée une percée dans la vision par son écorce aux couleurs vives, à l’inverse
des contrastes francs de noir et de blanc qui caractérisent le reste de la scène.
de papillon et de plumes d’oiseaux inconnus. L’ensemble happe le regard et le perturbe.
Ce voile hétéroclite crée une percée dans la vision par son écorce aux couleurs vives, à l’inverse
des contrastes francs de noir et de blanc qui caractérisent le reste de la scène.
La jeune femme rêve.
De nouvelles images se
créent. Les pages se tournent, semblent hésiter, flottent
avec insouciance au rythme de la conscience de la gracieuse endormie. Puis,
l’engrenage s’arrête. Un choix semble avoir été accompli.
avec insouciance au rythme de la conscience de la gracieuse endormie. Puis,
l’engrenage s’arrête. Un choix semble avoir été accompli.
La scène se dévoile
lentement, avec hésitation, puis se révèle et se dessine au
regard et à la compréhension. Le songe se déroule à présent dans ce qui semble
être une forêt, traversée par un courant d’eau, blanc et vide qui coupe la végétation
et la page en deux. Des murmures d’oiseaux se font entendre parmi les branches.
Le lieu est calme et apaisant.
regard et à la compréhension. Le songe se déroule à présent dans ce qui semble
être une forêt, traversée par un courant d’eau, blanc et vide qui coupe la végétation
et la page en deux. Des murmures d’oiseaux se font entendre parmi les branches.
Le lieu est calme et apaisant.
Mais la conscience de la
jeune femme ne s’arrête pas là et change déjà de sujet
de représentation. Pourtant, elle n’avait pas encore achevé la définition de l’ancien
lieu, seulement esquissé avant de disparaître.
de représentation. Pourtant, elle n’avait pas encore achevé la définition de l’ancien
lieu, seulement esquissé avant de disparaître.
Une plante aux nuances complexes
de gris apparaît alors. Elle s’ébauche et se
précise petit à petit, du haut de l’image jusqu’en bas. Ses feuilles bruissent au rythme
d’un vent qui ne semble exister qu’en ce morceau de visibilité, tant ce qui entoure
la plante est vide et indéfini. Elle semble révéler ou contenir quelque chose. Il est
difficile de savoir quoi. Image inconsciente de la réalité de l’endormie, elle existe
devant le regard en tant que microcosme de l’âme. Le monde entier se résume
entre les nervures des feuilles, ces fleuves coulant aux origines de l’univers.
précise petit à petit, du haut de l’image jusqu’en bas. Ses feuilles bruissent au rythme
d’un vent qui ne semble exister qu’en ce morceau de visibilité, tant ce qui entoure
la plante est vide et indéfini. Elle semble révéler ou contenir quelque chose. Il est
difficile de savoir quoi. Image inconsciente de la réalité de l’endormie, elle existe
devant le regard en tant que microcosme de l’âme. Le monde entier se résume
entre les nervures des feuilles, ces fleuves coulant aux origines de l’univers.
A nouveau, l’image entame
sa métamorphose avant d’avoir été pleinement définie.
C’est un rite étrange. Les lieux semblent se créer au fur et à mesure qu’évoluent
les pensées de la jeune femme. Ils naissent du néant, jardins vierges et magnifiques
et se transforment au gré des aléas de l’inconscient.
C’est un rite étrange. Les lieux semblent se créer au fur et à mesure qu’évoluent
les pensées de la jeune femme. Ils naissent du néant, jardins vierges et magnifiques
et se transforment au gré des aléas de l’inconscient.
Une idée se crée alors. Peut-être
est-ce cette jeune femme, la conscience de
l’étrange carnet noir ? Peut-être que le voyage au sein des pages qu’accomplit l’homme
depuis tant de jours est créé, nuit après nuit au sein même des songes de l’endormie ?
Elle est l’arbitre sublime qui règne sur ce monde.
l’étrange carnet noir ? Peut-être que le voyage au sein des pages qu’accomplit l’homme
depuis tant de jours est créé, nuit après nuit au sein même des songes de l’endormie ?
Elle est l’arbitre sublime qui règne sur ce monde.
Le carnet noir se referme.
jeudi 12 septembre 2013
Brazil 12/14. São Paulo
A nouveau, l’homme
s’engouffre dans le passage visuel et mémoriel que lui expose
le carnet noir. Comme il l’avait ressenti lors de sa dernière visite, la civilisation et
l’humanité réapparaissent entre ces pages nouvelles.
le carnet noir. Comme il l’avait ressenti lors de sa dernière visite, la civilisation et
l’humanité réapparaissent entre ces pages nouvelles.
Il est assis dans un bus,
auprès d’autres personnes qu’il ne connait pas.
Tous sont immobiles et profondément endormis, le corps doucement bercé par
les tremblements chaotiques du véhicule en marche. Seul flotte dans l’air le grondement
sourd du moteur. La scène trouble étrangement l’homme et, sans qu’il ne puisse
résister, ses paupières se font pierres. Elles deviennent si lourdes qu’il semble à
l’homme que, plus jamais, il ne pourra les rouvrir un jour. Le sommeil s’insinue
alors, comme une brume, entre les couloirs de sa conscience.
Tous sont immobiles et profondément endormis, le corps doucement bercé par
les tremblements chaotiques du véhicule en marche. Seul flotte dans l’air le grondement
sourd du moteur. La scène trouble étrangement l’homme et, sans qu’il ne puisse
résister, ses paupières se font pierres. Elles deviennent si lourdes qu’il semble à
l’homme que, plus jamais, il ne pourra les rouvrir un jour. Le sommeil s’insinue
alors, comme une brume, entre les couloirs de sa conscience.
Il est assis à nouveau, à
une table cette fois. Il baisse légèrement les yeux.
Devant lui sont posés une tasse à moitié pleine de café et un jus de fruit. Il remarque
une galette blanche, enroulée et posée sur une assiette. Le champ s’élargit. Les
éléments du décor se définissent. La table devant l’homme se situe au milieu
d’autres tables, placées à coté d’une cuisine et d’un comptoir dans lesquels
s’activent avec énergie des inconnus. Tous se crient des mots que l’homme
ne parvient à comprendre, comme évoluant derrière une mousse épaisse.
Devant lui sont posés une tasse à moitié pleine de café et un jus de fruit. Il remarque
une galette blanche, enroulée et posée sur une assiette. Le champ s’élargit. Les
éléments du décor se définissent. La table devant l’homme se situe au milieu
d’autres tables, placées à coté d’une cuisine et d’un comptoir dans lesquels
s’activent avec énergie des inconnus. Tous se crient des mots que l’homme
ne parvient à comprendre, comme évoluant derrière une mousse épaisse.
Au milieu des sons, un
écho féminin happe son attention mais il s’étouffe vite,
englouti par le brouhaha bourdonnant de l’endroit.
englouti par le brouhaha bourdonnant de l’endroit.
Soudain, la nuit tombe.
Elle apparait dans l’image
sans préambule, comme une bête, sombre
et sauvage, et dévore le décor apparent. Tout se transforme. Les éléments que
l’homme avait sous les yeux se métamorphosent en d’autres. La transition
parait irréelle et immédiate, comme si le motif observé avait toujours été celui-ci.
Et pourtant, au trait strict et noir du bar s’est substitué un graphisme éclaté, aux
tons cendrés et chaotiques. Les multiples chaises ont disparu, englouties par le
gouffre de la nuit. Seule existe le cadre noir de l’obscurité et une table, grise,
sur laquelle reposent, immobiles, plusieurs objets.
et sauvage, et dévore le décor apparent. Tout se transforme. Les éléments que
l’homme avait sous les yeux se métamorphosent en d’autres. La transition
parait irréelle et immédiate, comme si le motif observé avait toujours été celui-ci.
Et pourtant, au trait strict et noir du bar s’est substitué un graphisme éclaté, aux
tons cendrés et chaotiques. Les multiples chaises ont disparu, englouties par le
gouffre de la nuit. Seule existe le cadre noir de l’obscurité et une table, grise,
sur laquelle reposent, immobiles, plusieurs objets.
Trois bouteilles, un
porte-serviette, un verre, un papier chiffonné et une
trousse à l’ouverture vaginale, laissant dévoiler un intérieur bouffi et bondé.
trousse à l’ouverture vaginale, laissant dévoiler un intérieur bouffi et bondé.
« Des vies étaient
présentes en cette place il y a peu », pense l’homme.
Tout le porte à croire. Pourtant, un silence épais et lourd règne au-dessus des
lieux, plus obscur encore que les ténèbres environnantes.
Tout le porte à croire. Pourtant, un silence épais et lourd règne au-dessus des
lieux, plus obscur encore que les ténèbres environnantes.
Mais quelque chose dans
cette scène sans existence fait vibrer l’âme de
l’homme, sans qu’il ne sache pourquoi. Cela lui laisse un goût mélancolique
et triste au fond de la gorge, comme un profond sentiment de nostalgie. Il veut
en comprendre la cause. Il prend le papier en main et l’ouvre, le défroisse
pour en étudier le contenu et, peut-être apprendre quelque chose. Mais rien.
Seuls apparaissent le blanc jaunâtre du papier et le dessin produit par le
froissement de la feuille.
L’homme est perdu.
l’homme, sans qu’il ne sache pourquoi. Cela lui laisse un goût mélancolique
et triste au fond de la gorge, comme un profond sentiment de nostalgie. Il veut
en comprendre la cause. Il prend le papier en main et l’ouvre, le défroisse
pour en étudier le contenu et, peut-être apprendre quelque chose. Mais rien.
Seuls apparaissent le blanc jaunâtre du papier et le dessin produit par le
froissement de la feuille.
L’homme est perdu.
Il se lève alors d’un
mouvement brusque et la page se tourne, le décor change
à nouveau. Mais, sans avoir le temps de canaliser son regard, la scène se
métamorphose et redéfinit sa structure encore et encore. Le visible perd sa consistance
et devient une mélasse incolore et informe.
à nouveau. Mais, sans avoir le temps de canaliser son regard, la scène se
métamorphose et redéfinit sa structure encore et encore. Le visible perd sa consistance
et devient une mélasse incolore et informe.
Le carnet noir n’en fait
qu’à sa tête aujourd’hui. Il dirige le monde du visible
sans logique apparente et perd l’homme dans son esprit, incapable de saisir
le sens de ce cheminement incessant.
sans logique apparente et perd l’homme dans son esprit, incapable de saisir
le sens de ce cheminement incessant.
Puis, d’un seul coup, le
tremblement des sens s’arrête, le paysage se fige et il la voit.
Elle.
mercredi 11 septembre 2013
Brazil 11/14. Jamaracua
La poursuite de cette
mémoire étrangère continue.
L’homme ne peut plus s’en empêcher désormais. Il y
pense nuit et jour,
attendant avec impatience le moment où son esprit sera prêt
à continuer la
lecture – la vision plutôt – des pages de ce carnet noir, de ce
morceau de passé,
de ce bloc d’antimatière.
L’homme ouvre à nouveau
le carnet, fiévreux à l’idée de découvrir un
lieu nouveau, de laisser son
esprit se taire face à ses yeux,
de ne faire qu’un avec le vu.
Chose étonnante, ce n’est
pas une image qui s’offre au regard de
l’homme mais deux. Il ne le perçoit
cependant pas tout de suite. La composition
des deux images, pourtant sans
rapport semble fonctionner d’une même pensée.
Les deux lieux représentés
cohabitent sur la page avec étrangeté,
sans pour autant paraître déplacés.
De son œil gauche,
l’homme est couché dans le sable, enfin ce qu’il pense
être du sable car en
réalité, il n’est posé que sur une étendue vide de papier
jauni. Devant lui
trônent des bouts de bois noircis et brûlés, résidus visuels d’un
événement qui
a eu lieu au passé et apparaît en tant qu’empreinte sur le présent.
Le temps
n’est jamais fixe. Les éléments se recoupent toujours incessamment,
apparaissent en des lieux qui ne leur correspondent pas.
Au fond du décor se
découpe, d’un trait noir, une habitation sur pilotis, vide
de toute présence
humaine. Les personnes qui habitaient sur le lieu de la scène
semblent l’avoir
fui pour une raison inconnue.
L’homme n’en saisit pas la cause en tout cas.
Son œil gauche suit les
ramures d’un morceau de bois brulé sur la droite
de la page et glisse
doucement. C’est alors qu’il laisse la vision à son œil droit,
le bois s’étant
transformé en l’ombre d’un arbre, masqué au regard sur la page
suivante. Mais
la transition se fait en un souffle, sans aucune consistance.
Un sol carrelé recouvre
le bas du regard. Sur sa surface glissent doucement
les ombres d’arbres
poussant plus loin. Une construction en pierre happe le
centre de l’image. Cela
semble être un four antique ou archaïque, abandonné
là par la croissance
incessante de la modernité, reclus au triste
statut de vestige d’une époque.
L’homme ne comprend pas
où il se trouve. Les deux lieux paraissent aussi peu
réels l’un que l’autre. Il
ne parvient plus à canaliser ses pensées, se perdant entre
les hémisphères
gauches et droits de son cerveau. Il n’arrive plus à formuler d’idée précise.
Au sein de l’image se
dressent alors d’autres arbres, empiétant sur les lieux précédents,
les
détruisant. Ils sont rouges, sanglants même. Leur présence est un mauvais
présage.
L’écorce de leurs troncs est striée de multiples rainures. Cela leur
donne un aspect
organique. Ils ressemblent à des muscles, dressés ici au milieu
du vide pour appeler le
regard en leur surface, pour ruiner les images qui
existaient jusqu’à lors.
Mais l’homme parvient à
les faire fuir, à tourner la page du carnet noir.
Il s’arrête ainsi sur la
représentation d’une machinerie humaine découpant l’horizon
et entre dans
l’image. Il apaise ainsi son regard en contemplant les différents aspects de
cette grue gigantesque, érigée au bord de l’eau afin de rythmer la vie des
hommes.
Il s’endort en comprenant
que le retour à l’humanité est inexorable.
mardi 10 septembre 2013
Brazil 10/14. Naviguant sur l'Amazonie
L’homme est de retour. Il
s’est perdu de nombreux jours dans ce village étrange.
Il a vécu son existence
pleinement ; comme il ne l’avait jamais fait jusqu’à présent.
Mais il a
vite compris qu’il ne pouvait y rester indéfiniment. Ce n’était pas sa place.
Y
résider plus longtemps l’aurait transformé trop radicalement, aurait remplacé
son esprit par un autre. Ce n’est pas ce que l’homme désirait, bien qu’il ne
regrette pas son expérience dans le lieu même de la vie.
Il en sort changé
cependant, il ne sera plus jamais le même, il le sait, car les
images qu’il a
vues et surtout celles qu’il a créées, avec ces villageois euphoriques,
habiteront toujours son esprit, feront toujours partie de son être.
Mais il est temps pour
l’homme d’accéder à de nouveaux lieux de représentation.
Le carnet est ouvert à
une autre page et laisse place à une nouvelle image.
L’homme est couché, son
corps oscille à un rythme doux et lent. Il se rend
compte qu’il se trouve dans
un hamac. A ses cotés, l’un des guides est présent
et semble absolument
concentré sur un élément devant lui que l’homme ne
peut percevoir, caché par un
bout de toile sombre. Il regarde à droite à gauche.
Des deux cotés, les visions
sont similaires. Des dizaines d’autres hamacs,
accrochés les uns au-dessus des
autres, sur lesquels reposent les
autres guides et des personnes inconnues.
Il se lève et marche un
peu. Il tangue, sans savoir pourquoi. Cela lui laisse
une impression étrange,
comme s’il n’était pas pleinement maître de son corps et
ses sens. Mais ce
n’est en fait pas sur lui que le mouvement s’impose. C’est le sol
sur lequel il
marche qui tangue doucement mais régulièrement. Il se trouve en fait
sur le
ponton d’un bateau naviguant sur la mer.
Non … l’homme plisse les
yeux. Un rivage apparaît au loin, presque transparent.
Ce n’est pas sur la mer
que flotte le bateau mais sur un fleuve si vaste
que l’une des rives est
imperceptible.
L’homme reste ainsi
immobile sur le ponton et contemple l’eau quelques temps.
Les deux rives se
resserrent petit à petit, traçant un chemin plus défini. Le regard
croise,
ci-et-là des maisons sur pilotis, dressées au bord du rivage, dont les
habitants observent avec lassitude le bateau passer, autant que les passagers
les
observent, eux. Un échange silencieux de pensées et de morceaux de vie.
Une image surgit dans
l’esprit de l’homme, il ne sait pas d’où elle vient.
Tout disparaît et devient
noir autour de cette figure. Serait-ce le carnet
qui ne contrôle plus le flux
des pages ? Cela l’inquiète.
Devant lui se dresse un
mur de briques, entreposées les unes sur les autres
en un ordre arbitraire et
pratique. Mais l’homme n’en perçoit pas le sens
fonctionnel, il est face à une
sculpture étrange, qui obnubile son regard et ses
pensées. Sans bouger, il en
étudie la forme mais ne parvient pas en saisir l’essence.
Devant le mur, un tissu
coloré flotte étrangement. Il n’est tenu par aucun fil apparent.
Sa présence
semble impossible, inadéquate. L’homme la voit pourtant. Sa couleur
orange,
vive comme le feu, lui donne un aspect maudit, comme si elle représentait
le
fantôme d’une âme échouée, errant au-dessus de cette sculpture silencieuse.
L’angoisse l’assaille.
Mais il retrouve vite ses
esprits et ferme le carnet noir.
Il ne pourrait supporter la vision de
nouvelles images aujourd’hui.
lundi 9 septembre 2013
Brazil 9/14. Praia do Pesqueiro
Aujourd’hui, le
carnet noir s’est ouvert de lui-même en son centre.
L’homme s’y est
trouvé happé sans qu’il s’y attende, projeté malgré
lui dans un nouveau lieu où
passé et présent, mémoire et existence,
se rejoignent à nouveau.
Quelques minutes
passent. L’homme met du temps à se relever.
Il parvient cependant à le faire et
observe les alentours. Il est debout,
au centre d’une place étonnante. Autour
de lui se dressent des
maisons aux motifs et couleurs incroyables, rompant avec
la
monotonie jaunâtre du papier-paysage.
Au départ, aucun
son ne résonne entre les rues laissées vides par le
dessin et subitement, un
fracas se fait entendre, sec et puissant, dans
les oreilles de l’homme.
Quelques instants passent, silencieux
à nouveau. L’homme s’inquiète.
Soudain, les rues
s’animent d’un brouhaha joyeux et incessant.
Les artères du village se
remplissent de gens au visage rayonnant,
criant, riant et dansant, la mine
euphorique autour de l’homme.
Ils l’incitent à les rejoindre. L’homme hésite,
il ne trouve plus ses
guides et est récalcitrant à l’idée de suivre des
inconnus à nouveau.
Il se rappelle alors, que ses guides n’étaient au départ
que des étrangers
parmi tant d’autres avant de devenir ses amis.
Soit. Il est
temps de vivre ce voyage pleinement, plutôt que d’y
assister en tant que simple
spectateur passif.
C’est alors,
qu’il s’abandonne au rythme de la vie endiablée de ce
village si extatique. Il
ne sait pas s’il pourra revenir identique de
ce voyage au sein d’une humanité
nouvelle, mais la question ne
l’importe pas encore. Pour l’instant, il doit
vivre.
Vivre et cesser de voir.
dimanche 8 septembre 2013
Brazil 8/14. Ilha de Marajó
Du sable s’étend
à perte de vue.
Il vagabonde si
loin dans le paysage que l’horizon n’existe plus,
la séparation entre ciel et
terre n’a plus lieu d’être, le jaune du sable
se mêle au blanc du papier,
créant un paysage au sein même du vide.
Un seul élément
vient rompre avec ce monochrome naturel. C’est une
barrière de graphite,
représentant des morceaux de bois, érigés les uns
à coté des autres autour
d’une porte archaïque. L’homme comprend qu’il
est dans le désert. Ce carnet
regorge décidément de mille et unes merveilles.
Il pense durant quelques
instants à ce qu’il a pu voir jusqu’à présent et
imagine avec joie ce qu’il va
voir par la suite. Mais pour voir, il faut se
déplacer. C’est ce que décide de
faire l’homme.
Le décor se
trouble ainsi, laissant place à une autre étendue de sable,
dans un lieu
différent. La barrière boisée n’est plus là, remplacée par
une barque aux
couleurs flamboyantes et irréelles.
L’homme se
souvient à présent. Ce sont les guides qui l’ont mené ici.
Il a traversé avec
eux un désert de sable, marchant durant un temps
indéterminé dans ces plaines
minérales pour s’établir sur cette plage,
aux confins d’un village étranger.
Mais le village, ils ne l’approchent pas,
préférant converser avec les éléments
naturels qui parsèment les lieux.
C’est sans doute une bonne décision, il n’en
sait rien à vrai dire.
Cela ne le préoccupe pas.
A coté de la
barque échouée – elle attend que la marée remonte et lui
permette de flotter à
nouveau – se trouve leur campement, à l’homme
et aux guides. Ils l’ont
construit d’une décision commune, utilisant les
divers éléments qu’ils
pouvaient recueillir aux alentours : bouts de bois,
feuilles de palmiers,
mousse et sable. C’est un lieu agréable. Il est retiré
des bruissements
incessants de la civilisation humaine. Les seules traces
sont cette barque et
un bateau laissé à l’abandon, un peu plus loin
au milieu de la mangrove.
Cette attente
sans but laisse du temps à l’homme pour penser à son
voyage, à la création de
cette mémoire représentée dans le carnet noir.
Il se demande si, au fond, ce ne
sont pas ses propres visions, oubliées
et perdues au fin fond de son esprit,
qui y sont dessinées page après page.
Mais aucune réponse ne parvient à ses
oreilles. Tout est trop calme.
Est-ce que c’est
cela voyager ? Vagabonder d’un lieu à un autre en
ne restant que
spectateur, que découvreur passif d’une nouvelle réalité.
Depuis quelques
jours, il ne saisit plus très bien son rôle dans ce périple.
Dans quel but
emmagasiner toutes ces images ? Ne faut-il pas les vivre
plus tôt ?
« Je ne parviens à rien, mais cela ne m’attriste pas, c’est étrange »
se dit l’homme, il n’avait jamais connu cela auparavant.
« Peut-être
devrais-je malgré tout laisser une trace de mon existence
au sein de ces
images, autant qu’elles laissent une trace de la
leur dans mon esprit. »
conclut l’homme.
Puis il se
concentre sur l’observation d’un arbre en face de lui, laissant
son regard se perdre
entre les tumultueuse racines apparentes qui se
rejoignent pour se dresser vers
le ciel.
« Il laisse sa trace dans le monde, lui », se dit l’homme.
Inscription à :
Articles (Atom)