Le sol est rêche.
Vous relevez tous la tête, doucement. La peau de votre visage
est parsemée
d'une fine couche de sable gris. Certains d'entre vous toussent.
Vous observez le lieu, l'analysez même. Chaque élément du décor est
méticuleusement transpercé par votre regard, chaque gravât devient une partie
de votre conscience. Vous êtes attentif au moindre détail. Votre âme s'est
étendue,
elle part désormais de votre crâne pour s'étendre à l'espace qui vous
entoure, sans différenciation.
C'est alors que l'Être apparaît.
Vous vous concentrez d'autant plus. Il est important que personne ici ne rate
une bribe de ce qui va se dérouler dans les prochaines secondes. Votre
attention n'a jamais été aussi présente, aussi précise. Le mouvement
s'enclenche.
L'Être s'abaisse et rampe sur le sol. Ses mains crissent et raclent
la surface
calcaire, déplaçant ainsi les particules minérales qui jonchent
le lieu. Il
replace ensuite ses longs doigts calleux au même endroit et
recommence la manœuvre,
encore et encore.
La surface du terrain change lentement, l’Être la modélise à son grès.
Il
creuse le plan rocheux, sur lequel vous vous trouvez, dans un but précis,
déterminé
il y a de cela très longtemps. Mais vous n’êtes pas capables
d’en concevoir les
aboutissants. Vous n’êtes que spectateurs
de cette danse étrange.
Maintenant, l’être se lève. Son rôle semble être achevé et le phénomène
est
mis en place. Vous canalisez votre regard sur la faille venant d’être
évidée, sans toutefois parvenir à en saisir l’essence.
Elle vous appelle. Mais vous
êtes immobiles.
Soudain, vous ressentez tous une vive douleur à l’arrière du crâne et,
aussi intensément qu’elle est apparue, elle s’assourdit, tout redevient calme.
Mais rien n’est comme avant car il est désormais temps. Ou plutôt, il n’est
plus temps.
L’écoulement eternel des âges vient de s’arrêter.
Vos sens se sont gelés, votre conscience s’est immobilisée. Le règne du
vivant
n’a plus lieu d’être car le vivant n’existe plus. Tout est désormais
rocheux,
minéral, inorganique. L’eau est devenue cristal, le bois charbon.
Le monde entier n’est plus que fossile.
Excepté l’Être, qui danse pour toujours.
Bruit du jour: Jack White / Wayfaring Stranger