L’un des
enfants se lève.
Il tourne
la tête et observe le lieu accueillant sa présence.
Une forêt sombre et
silencieuse. Des arbres érigent une barrière
opaque autour de cette clairière étrange ;
ils s’épousent, dansent et
se mêlent les uns aux autres dans un balai tortueux. L’écorce qui
englobe leurs troncs et zébrée de nombreuses et profondes rides,
comme un parchemin, gratté par la plume de millénaires d’histoire.
Rien ne
semble exister au-delà des frontières de leur visibilité.
L’enfant
se frotte le visage. Il a la peau dure et lisse. Ni oreille, ni nez ni œil, une
simple
surface rigide, épousant une forme pourtant complexe. Comme si plusieurs
bouts de bois
sans écorce, avaient été assemblés les uns aux autres sans
attache apparente, sans réalité.
Mais cela ne l’étonne pas. Il lui semble que ce
masque étrange définissant son identité fut
toujours celui-ci. De toute
manière, la question n’est pas là.
Un élément
l’étonne et le fascine cependant.
Une
construction se dresse au centre de cet espace vide et circulaire.
Mais
est-elle seulement construite ? Elle semble reposer ici depuis l’aube des
temps,
le décor qui l’entoure ne pouvait exister sans sa présence. Tous deux
sont liés dans la racine
même du monde et ne peuvent dès lors être dissociés.
Pourtant, rien dans la nature
ne
pourrait se distinguer plus que cet édifice. Il appartient intrinsèquement au
lieu
mais en est profondément étranger.
La
surface de cet objet vibre. Elle est immobile, rigide, géométrique.
Elle est
liquide, molle et mouvante. Enigmatique, elle vagabonde entre deux
états
opposés, semble évoluer dans notre monde tout en projetant
continuellement
l’image d’existences secondes, imbriquées les unes entre
les autres dans un
réseau insondable. Et ce gris, dense, profond et terriblement froid.
Une
relique immobile, ternie par le lent écoulement d’un temps infini et
entropique.
L’enfant
est confus. Il s’éloigne de ce monument, tentant de fuir sa force de
présence
si ensorcelante. Mais au fur et à mesure qu’il avance, ses pensées
se
brouillent et se dispersent. Son esprit s’efface au même rythme que
ses pieds
foulent le sol humide de la clairière. Il ne comprend pas.
L’étrange édifice
parait être à l’origine de sa capacité de pensée ; s’en
éloigner revient à
se vider de la substance de son âme. Il revient
alors sur ses pas et observe l’autre
enfant. Celui-ci est assis, les jambes en
tailleur, dos au monolithe. Il parait
si serein. Sans doute a-t-il accepté
depuis longtemps l’existence de l’objet. L’univers
entier converge dans ses
yeux invisibles, caché sous ce visage aux arrêtes
nettes et décidées.
Le
premier enfant comprend alors. Tout.
Il sait qu’il ne sert à rien de vouloir
fuir cet espace. Les événements
extérieurs n’ont plus lieu d’être ici. Le temps
lui-même n’est
qu’un élément anodin au regard de la vérité évidente qui s’érige
autour de l’objet.
Il s’assoit
alors à son tour et contemple ce monument,
créateur de tout entendement.
Bruit du jour: Author / Sun